L'Épopée de la

Franc-Maçonnerie (Tome 1)

(BD)

Ma profonde déception ne se situe pas sur le contenu de la partie BD, mais sur les textes l’accompagnant :

  • Préface très regrettable avec en sous-jacent un vieux litige GLDF envers le GODF sur celui qui détient la primeur de l’ancienneté ; avec en prime de nouveau les mêmes mensonges par omission sur le REAA

  • Dossier explicatif contenant des erreurs corrigés depuis plus de 40 ans dans les milieux de cherchants maçonniques

Très honnêtement, j’espère que la série dans ses prochains tomes présentera des articles de meilleurs qualité à la fin de l’album, les historiens et conservateurs ne manquent pas en Franc-Maçonnerie, au sein de la GLDF y compris…

À la limite, j’aurai finalement préféré qu’on évite tous ces ajouts autour de l’oeuvre, pour ne porter atteinte à la qualité de la BD elle-même, comme ce fut le cas pour les autres séries précédentes de Didier CONVARD.

Je développe ci-dessous en détail les divers contenus que je trouve les plus regrettables ou décevants dans la préface et les annexes de ce premier Tome ; et qui ne sont pas à la hauteur du contenu de la BD en elle-même ni des autres séries du même auteur.

Préface de Pierre-Marie ADAM — Grand Maître de la GLDF

Il s’agit d’une préface très décevante concernant deux points :

  • Présenter la GLDF plus ancienne que le GODF sic

  • Présenter la BD comme concernant l’Histoire du REAA re-sic

Florilège sur la Grande Loge de France en plus ancienne obédience maçonnique française

La Grande Loge de France, plus ancienne obédience maçonnique française, fondée en 1728 et réorganisée en 1821[…]

Quel est donc l’intérêt fondamental dans une Bande Dessinée à objectif de divertissement d’importer ce bricolage maçonnico-politique sur l’Histoire Maçonnique Française ?

Où est donc la plus-value d’importer un conflit politique dans une préface de BD, je pourrai à la rigueur comprendre s’il s’agissait d’un livre académique sur l’Histoire, et encore, cette thèse ne tient pas face aux sources actuellement disponibles.

Il n’y a aucune Obédience portant le nom de Grande Loge de France en 1728, les loges maçonniques étaient alors sous la Grande Maîtrise du Duc de Wharton, mais sans pour autant porter de titre distinctif.

D’une part, on est ici sur un concours de classement sur l’ordre de précédence avec les deux plus anciennes obédiences de France :

  • Le Grand Orient de France

  • Grande Loge de France

Depuis les 275 ans de la Franc-Maçonnerie Française, ces deux obédiences se sont mis à se donner deux dates de fondation, 1728 et celle de fondation réelle. 1728 étant une date symbolique se référant à la Grande Maîtrise du Duc de Wharton.

D’autre part, on fait un mélange entre :

  • l’ancienneté d’une forme maçonnique d’Écossisme, et encore, les degrés « écossais » apparaissent en 17401, et non dès 1728

  • L’ancienneté de la forme juridique d’une obédience, 1773 pour le GODF, et 1894 pour la GLDF, soit donc 121 ans d’écart

Mais il s’agit ici d’une lubie répétée ad libitum datant d’au moins les trois dernières Grandes Maîtrises de la GDLF2


  1. Voir Fond Kloss XXV-334 Grand Orient des Pays-Bas ↩︎

  2. Exemple de ce différent entre un membre du GODF et de la GLDF [dernière consultation le 13/09/2020] ↩︎


Florilège sur l'Histoire du Rite Écossais Ancien et Accepté

Raconter l’histoire du Rite Écossais Ancien et Accepté, de sa naissance à aujourd’hui, sans tomber dans la facilité, la complaisance ou le détournement, a constitué pourtant une entreprise inédite, à ce jour et sous cette forme.

Sauf à positionner la préface sur l'ensemble de la série elle-même, mais dont seuls les deux premiers tomes sont connus pour l'instant ; ce premier tome :

  • ne concerne pas le domaine de l'Histoire, mais celui des Légendes allégoriques

  • n'a rien de spécifique avec le REAA ou une de ses variantes

La Bande Dessinée s’appuie surtout sur le conte profane ou paramaçonnique « La Reine du Matin et Soliman Prince des Génies » du livre « Voyage en orient » :

  • Ni spécifiquement maçonnique — un Juif, Chrétien, ou Musulman s’y retrouverait vu les références présentes dans leurs livres saints, comme un Franc-Maçon s'y retrouverait avec les références aux légendes maçonniques des cérémonies rituelles

  • Ni spécifiquement lié au REAA — la légende d’Hiram au 3e Degré ne lui est pas spécifique et exclusif, et le REAA est avant tout un système de Hauts Grades (4-33) avant de devenir un système de degrés complet (1-33), dont les 3 premiers degrés sont un écossisme français de la divulgation maçonnique "Three Distinct Knocks" réputé décrire des cérémonies rituels des Ancients, sont très peu pratiqués et connus dans le monde

En attendant de lire les autres tomes (je n’ai pu lire que les deux premiers pour l’instant), on devrait plutôt préciser que ce conte de Gérard de NERVAL a influencé au mieux quelques variantes du REAA, et non l’ensemble du REAA.

On peut aisément le constater à la lecture du rituel REAA-GLDF au 3ème Degré, daté de 1904 par exemple.

Mais, non non et non, La Reine du Matin et Soliman Prince des Génies ne fait pas parti du REAA, ni même d'un quelconque rituel maçonnique !

Dossier Hiram, l’architecte

La Fraternité de Jacques ROZEN — Souverain Commandeur du Suprême Conseil de France

Il s'agit ici de l'article peut-être le plus décevant et cumulant le plus de florilèges. L'auteur ira encore plus loin dans le deuxième tome de la série.

On cumule ici les confusions entre Histoires des Organisations de Métiers, différences entre ces organisations, livres de pseudo-histoire de la part d'auteurs peu rigoureux sur le sujet, et dont les contenus ont largement corrigés depuis plus de 40 ans de recherche maçonnique française, encore faut il s'y intéresser !

Florilège sur des "Origines légendaires avec les Collegia Fabrorum, les Constructeurs de Cathédrales, et les Compagnonnages Français"

les origines légendaires font remonter nos traditions, mythes et symboles aux concepteurs et ouvriers bâtisseurs des pyramides d’Égypte, à Hiram, l’architecte du Temple de Salomon, mais aussi aux collegia fabrorum romaines ainsi qu’aux constructeurs des cathédrales, c’est à dire aux corporations des Compagnons bâtisseurs

Intentionnellement où non, l'auteur de cet article mélange plusieurs cas :

  • Les légendes contenus dans les rites maçonniques eux-mêmes

  • Les légendes contenus dans les status et autres règlementations de Métier comme les "Old Charges" anglais

  • Les légendes et autres fantasmes individuels de franc-maçons

Typiquement, les rituels et règlements maçonniques, comme celles des organisations de métier ne prétend à aucun moment :

  • avoir une filiation directe avec les Collegia Fabrorum

  • avoir une filiation directe avec, ou d'une spécialisation de Bâtisseurs de Cathedrales

  • avoir une filiation quelconque avec les Compagnonnages Français s'il s'agit bien du sous-entendu derrière l'appelation "Corporation des Compagnons Bâtisseurs [de Cathédrales]"

Il suffit déjà de lire l'Histoire légendaire dans les Constitutions de la première Grande Loge de Londres et Westminster (dites Constitutions d'Anderson de 1723 et suivants), où il est régulièrement précisé des constructions de bâtiments, religieux et non religieux, et aucune référence à des Collegia Fabrorum non plus, ou encore à des pyramides, même si des constructions egyptiennes sont citées...

Pour ce qui est des Compagnonnages français type "Devoir"1 :

  • La Franc-Maçonnerie est née dans les iles britanniques où nous avons aucune trace d'influence d'un compagnonnage français quelconque laissant transparaitre une influence de leur part dans des usages et traditions

  • Les premières traces connues des compagnonnages clairement type "Devoir" sont du XVIIème siècle, avec des indices antérieurs très ténus au XVème, et d'autres sujets à de grandes précautions l’interprétation au XIIIème

  • Les Compagnonnages français type "Devoir" est un mouvement culturel et professionnel qui a eu ses propres évolutions selon les périodes et localités, très différents entre le XVIIe et le XIXe siècle


  1. Voir les Conférences et Ouvrages d'Histoiriens faisant autorité sur le sujet, comme Jean-Michel MATHONIERE ou Laurent BASTARD par exemple ↩︎

Florilège sur les Statuts de Bologne

Dans le dernier quart du XIIIe siècle, est mentionnée pour la première fois l’existence de Loges réunissant des charpentiers et des tailleurs de pierre sur de grands chantiers.

Je suppose ici qu’on sous-entend « Statuta et Ordinamenta Societatis Magistrorum muri et lignaminis » de 1248 à Bologne. Une nouvelle fois, l’auteur est approximatif.

  • Ces statuts ne parlent pas de « Loges » mais d’une seule et unique Société de Maîtres du Mur et Maîtres de la Charpente. En 1257, la société sera d'ailleurs scindée en deux, selon le Métier.

  • Ces statuts sont une mise en conformité avec les Lois de la nouvellement crée Commune de Bologne en 1228. Sans ces statuts imposées, il n’y a pas de reconnaissance civique de cette Organisation de Métier de type Jurande/Maîtrise

On amalgame ici « Loge de Chantier » et « Structure municipale ».

Florilège sur la généralité concernant un Tuilage dans toute organisation de Métier

Il était admis que la possession de « mots de passe », de postures, attouchements et signes de reconnaissance suffisait à prouver l’appartenance régulière d’un ouvrier au métier et qu’ils indiquaient en même temps son degré de qualification. Les « Mots » étaient communiqués en deux temps : d’abord en fin d’apprentissage pour se faire reconnaître en tant que Compagnon du métier, puis lorsqu’il devenait Maître Maçon confirmé, pour lui permettre de diriger les Compagnons et Apprentis.

Toutes les organisations de Métier posséderait donc un système de reconnaissance par partage de secrets ?

Quelles sont les sources pour affirmer celà ? L'absence de source permettant de démontrer la présence de secret ?

D'une part, il existe plusieurs types d'organisations de métier :

  • Organisation réglée

  • Organisation jurée

  • Association temporaire d'artisans

Aucun document d'Organisation de Métier ne permet d'affirmer une constante dans les pratiques de reconnaissance d'appartenance et niveau de qualification.

Les sources les plus anciennes sans ambiguité sur le sujet concernent des cas très ciblée d'Organisation de Métier :

  • Archives des procès criminels et des registres du consistoire de Genève (1567)1

  • Registre d'Edimbourg (1696)

De plus, si on fait référence aux Loges de Shaw Ecossaises, pour être fait Apprenti Entré, il fallait avoir terminé son apprentissage2, et obtenu sa "Freedom". Ainsi, on pouvait être Burguess (compagnon ou maître) dans l'Incorporation of Wright (composée de Maçons et Charpentiers), et être Apprenti Entré dans la loge de Shaw, structure parallèle.


  1. Nathalie Zemon Davis dans « The Economic History Rewies - A trade union in sixteenth century France » 1966. Voir aussi ↩︎

  2. Voir Statuts de Shaw ↩︎

Florilège sur les origines du terme "accepté" et d'un "rite accepté"

Avec le temps, les bâtisseurs opératifs des cathédrales ont accepté en leur sein des hommes qui n’étaient pas du métier […]. C’est donc à partir de ces corporations que la Franc-Maçonnerie s’est développée et s’est ouverte à des personnes n’appartenant pas à la guilde opérative. De là proviennent sans doute les noms de « maçons acceptés » et de « Rite Accepté »

Les Organisations de Métier dans les cités anglaises et les bourgs écossaient n'étaient pas des spécialisées dans la construction de Cathédrales. Il s'agissait de Jurandes/Maîtrises ayant des représentants au Conseil Municipal, afin d'y traité les affaires civiques, legislatifs, juridiques, économiques de la Cité ou du Bourg. Elles régulaient et organisaient le Métier dans la Cité ou le Bourg et dans une zone géographique autour défini dont elles avaient l'exclusivité de marché, peu importe le type de construction à effectuer : Cathédrale, maison bourgeoise, etc.

Bref, l'auteur persiste dans le fantasme des « bâtisseurs de cathédrales »


A partir de la réorganisation économique du Royaume d'Angleterre et des Métiers de la Cité de Londres par Edward III (qui fera la richesse de l’Angleterre d'ailleurs) ; les premiers cas documentés similaires à l’acceptation d’Hommes hors du métier sont Edward III lui-même et Richard II chez les Linen Armourers au XIVe siècle1.

Les Old Charges indiquent dans leurs légendes la présence de Rois parmi leurs membres, c'est également cité dans des rituels maçonniques

Encore faut-il être suffisamment clair sur l’évolution de la terminologie de l’acceptation dans les anciens règlements. A la lecture des Old Charges, cette terminologie a évolué selon les périodes et les lieux.

On a par exemple des sources dans les archives de la Worfulship Company of Masons à la Cité de Londres, de Maçons de Métier devenus "Maçons acceptés"2.


De plus, le terme de « Rite accepté » est complètement anachronique et ici idéologique pour le lié au REAA. On n'a aucune source prévoyant des rites différents selon que le candidat est :

  • Du Métier

  • Externe au Métier


  1. Archives de la Worfulship Company of Linen Armourer de la Cité de Londres ↩︎

  2. Archives de la aWorfulship Company of Masons de la Cité de Londres ↩︎

Florilège sur l'importance du REAA dans le monde

[…] Rite Ecossais Ancien et Accepté, Rite le plus répandu et le plus pratiqué dans le monde[…]

Arrivé en France en 1804, le Rite, tel qu’il est pratiqué de nos jours, s'est ensuite répandu dans le monde entier.

Il s'agit d'un florilège très habituel concernant ce rite.

D'une part, le REAA fut un Système de Hauts Grades (4-33) avant de devenir un Système complet et intégral (1-33).

La réalité est autre :

  • Le REAA est le plus pratiqué dans quelques pays dont la France

  • Le REAA est le système de hauts grades ayant le plus d'adeptes dans le monde

  • Le REAA se pratique plus souvent à partir du 18ème Degré jusqu'au 32ème Degré

  • Au trois premiers degrés, le REAA est complètement minoritaire, voir simplement inconnu

Les rites les plus pratiqué dans le Monde sont : les Rites Américains et les Rites Anglais largement avant les autres.

De plus, aux trois premiers degrés, ces rites sont différents de ce qui se pratiquaient en 1804 :

  • Suite aux interferences régulières et mutuelles avec les Rites Français,

  • Suite aux influences de Frères occultistes comme Oswald Wirth ou René Guenon

  • Suite aux changements de société

On peut noter par exemple la disparition des Diacres et des prières, l'apparition de la devise Liberté Egalité Fraternité, création et suppression de contenus avec le temps1

  1. Génèse du REAA par Philippe MICHEL ↩︎

Les mauvais compagnons Auteur non cité

L’article porte sur les trois meurtriers d’Hiram Abif présent dans les rites maçonniques, mais tente de faire un lien bancal avec des pratiques de Métier totalement illogiques et erronés

Florilège du Silence de l'Apprenti

A l’image de ce qui existait sur les chantiers des bâtisseurs. Les Apprentis apprennent, regardent en silence, les Compagnons travaillent et les Maîtres dirigent la construction.

Il est effectivement d’usage, et encore pas à tous les rites maçonniques, et sans démonstration sourcée qu’il s’agit d’un dispositif rituel traditionnel, d’exiger que l’Apprenti Franc-Maçon soit interdit de parole durant tout son parcours du degré. Mais il s’agit ici d’un usage maçonnique principalement continental, et totalement inconnu des rites anglais, irlandais, écossais ou américain.


Il ne s'agit aucunement d'une reprise d'usages provenant d'Organisations de Métier.


D’une part, l’Apprenti travaille en même temps qu’il apprend, en Angleterre, depuis une loi Elisabethéenne, la durée d’Apprentissage était de 7 années minimum en servitude auprès d’un maître

Il est illogique, incohérent, et non sourcé que les apprentis :

  • Pratiquaient le Silence pour apprendre

  • Ne travaillaient pas comme les Compagnons

On a d'ailleurs des témoignages1 du XV-XVIIème d'apprentis concernant leur conditions de travail, et les relations avec leur maître durant leurs 7 ans minimum. Un apprenti travaillait, mais il ne touchait pas de rémunération durant l'apprentissage, et était logé et nourri.

Une fois la durée imposée d’apprentissage, l’apprenti était « libre de son maître », mais ne devenait pas compagnon du métier s’il ne payait pas pour le devenir. Tout apprenti n’avait pas les moyens de payer, ni forcément l’utilité de le faire…

De fait, il n’y a avait aucun automatisme « Fin d’apprentissage = devenir compagnon », l’imposition du silence est antinomique avec la réalité des chantiers. On est plus probablement sur la confusion fréquente entre la Valeur Cardinal de « Tempérance » et « faire Silence ».

Mais il faut avouer que cette période de silence imposé aux Apprentis Franc-Maçons sur le continent, plait encore énormément, allant jusqu'à une justification que ce temps permet/garantit "d'apprendre à écouter"…


  1. Voir Archives au Guildhall de la Cité de Londres concernant des plaintes auprès du Chamberlain ↩︎